mercredi 20 mai 2015
Réforme...
De très nombreuses personnes me demandent mon avis sur la réforme du collège, sur laquelle je n'ai encore rien écrit. Je réponds un peu fatigué et lassé, il suffit de lire les anciens articles, tout y est. Il suffit surtout de lire les articles de M. N. Hirtt qui sont révélateurs de l'esprit qui sous-tend les réformes éducatives depuis 20 ans dans le monde occidental. Car cette nouvelle réforme n'est ni plus ni moins que la suite logique d'une politique entamée il y a presque 20 ans maintenant et continuée par les divers gouvernements de droite comme de gauche... Les hauts cris des responsables de droite à l'égard de la ministre actuelle n'en sont que risibles, tant il est vrai que cette réforme eût pu être proposée par ces Messieurs. En réalité cette réforme est dans la droite ligne de l'alignement de la France sur les injonctions de l'OCDE pour faire de l’Éducation un support servile et efficace des besoins du monde entrepreneurial dont elle a adopté le vocabulaire. Par ailleurs, elle est gouvernée par un besoin d'économies budgétaires dont elle devrait se vanter au lieu de s'en défendre! Mais quoi? On fait semblant d'être de gauche jusqu'au bout! Elle est un pas de plus dans la direction d'une approche par compétences qui est de plus en plus controversée tant il est vrai qu'elle occulte la connaissances pour elle-même; celle-ci n'a pas d'existence légitime : elle doit forcément être "mobilisable" dans un but précis. C'est idiot mais c'est comme ça. Par exemple il ne sert à rien de connaître Proust. Il faut connaître Proust pour le mobiliser dans une tâche. Mais qui a déjà mobilisé Proust dans une tâche, à part pour briller dans un dîner en ville? Et pourquoi n'aurai-je pas le droit de prendre juste un plaisir à convoquer et à savourer telle phrase de Proust pour moi-même? Encore faut-il qu'on m'ait dit de le lire, qu'on me l'ait présenté, fait aimé ....
On me demande de répondre sans dogmatisme ce qui me fait tantôt rire tantôt hurler de rage : car enfin cette approche est en elle-même dogmatique. Pourquoi devrais-je, MOI, renoncer à mes convictions pour devoir m'exprimer sur une réforme à ce point marquée par différents dogmes? C'est encore une fois idiot et injuste! La réforme empile les sous entendus dogmatiques et ce n'est pas être complotiste de le dire! Marquée d'abord par une idée reçue qui fait mouche à tous coups : les élèves s'embêtent au collège et à l’École. Et c'est en en faisant moins et en apprenant moins qu'ils s'ennuieront moins? Joie!
L’École est élitiste et n'accueille pas tous les élèves... C'est certainement pour cela que dans les banlieues difficiles les écoles privées sont en vogue... En réalité certaines options sont le seul moyen pour le collège public d'attirer encore les élèves qui ne sont pas en échec! Enlever ces options au collège de quartier lambda c'est à coup sûr le condamner à devenir le collège du ghetto. Et du reste pourquoi les élèves lambda n'auraient pas droit eux aussi à apprendre dès la 6ème deux langues vivantes dans une option bilangue??? L'espèce de nivellement par le bas que propose l'actuelle réforme est la mort du collège public. Le privé se frotte les mains quant à lui... Le dogme des enseignements interdisciplinaires n'est qu'un écran de fumée pour éviter d'enseigner des disciplines exigeantes... La perte des heures qu'il entraînent par ailleurs étant une manière (habile mais déjà employée pour les Itinéraires de Découvertes (IDD, un succès flamboyant enterré en moins de trois ans, il y a 10 ans déjà)de réduire les heures postes. Cela s'accompagne d'un dogme qui ressurgit en permanence, de l'évaluation bienveillante destinée à mettre en réussite tous les élèves; Ah la réussite de tous... Ou comment l'évaluation refuse par avance la possibilité de l'échec... Il va de soi qu'évaluer c'est aussi détecter l'échec. Qu'on peut gommer d'un trait les élèves en échec en faisant croire qu'ils ont réussi mais que ça ne changera rien. C'est du soviétisme à la sauce libérale : je ne supporte pas mes 150 000 élèves en échec donc je leur donne un diplôme : ils sont en réussite. Que vaut par ailleurs ce diplôme? On s'en tape. Statistiquement, j'ai réussi. Ne riez pas : c'est ce à quoi sert le DNB (Brevet des collèges).
Alors cette réforme passera certainement comme d'autres et se heurtera aux mêmes problèmes : comment remédie-t-on aux échecs, qu'offre-t-on à ceux à qui le système ne convient guère? Signalons par ailleurs que la disparition des BEP a rendu l'enseignement professionnel hyper sélectif, que les moyens manquent à tous niveaux (je signale à titre d'exemple que pour 674 élèves, dans mon collège on a : une salle informatique de 15 postes et une douzaine de postes portables...)... La réalité de cette réforme c'est qu'elle poursuit la mise au pas des spécificités de l'enseignement public en France. Qu'il faille réformer j'en suis certain : il faut au contraire de la réforme entreprise, créer des postes qui permettraient d'intervenir à plusieurs quand nécessaire, réduire les effectifs dans les petites classes, réduire (oui ou) certains programmes pour rendre leur contenu accessible sans renier la complexité et la valeur des notions en jeu. Il faudrait... stop. J'ai des copies...
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Tu as tout dit Hubert, l'école est au service du capitalisme, il faut créer des employés servile, disciplinés voire corvéables à merci...
RépondreSupprimerLes humanités, et notamment l'HG, fondé sur l'argumentation et l'esprit critique ne sont pas bien vu...
Cela me rappelle la chanson du Grande Bernard, la Grande marée... qui évoque une société dans laquelle il est "déconseillée de réfléchir..."
Comme si nos gouvernants allaient mettre en place les réformes qui vont faire des élèves de futurs citoyens alertes et critiques...
Je suis content de voir un prof lucide et critique.
Merci Hubert !
Sébastien