mouette

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dimanche 25 octobre 2020

C'est facile de s'moquer

"C'est facile de se moquer" chantaient les Wampas (écouter ici), groupe cultissime dont on n'a pas fini d'analyser l'œuvre. Mais on me demande souvent "mais pourquoi se moquer?" . Et, en ce moment, l'interrogation est fondamentale quand on mesure le degré de violence que peut générer la caricature, en particulier religieuse. Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais, néanmoins, en tant qu'enseignant d'EMC, c'est un sujet sur lequel je me penche avec beaucoup d'attention et de sérieux. En tant qu'écrivaillon aussi, car il faut être, je crois, responsable de ce que l'on écrit. 

Sur la moquerie, il faut partir de la liberté d'expression et des formes d'expression. Rire est un combat (voir le livre Rire de Résistance de JM Ribes) et c'est une des manières de se battre pour des idées que de rire de celles des autres. La loi encadre la liberté d'expression, fort heureusement. Et elle l'encadre plutôt intelligemment en France, je crois : en cherchant à laisser la plus grande liberté possible mais en interdisant les formes de nuisances individuelles ou collectives : la diffamation, l'injure publique (et même privée), la discrimination, l'appel à la violence... Tout n'est donc pas autorisé. Néanmoins, le champ de la liberté reste très large et aucun domaine n'est sacralisé ou sanctuarisé, avec un panneau "interdit d'en rire". C'est heureux.

Sur la question religieuse, le sujet est, on le sait, ultra sensible. On peut se demander pourquoi cette sensibilité semble plus forte aujourd'hui qu'avant (mais cela reste à démontrer et je parle de l'époque récente : avant, rire du religieux te menait au bûcher, sans autre forme de procès... Rappelez vous des Monthy Python et de leur film Sacré Graal : "a witch! Burn!"). Là n'est pas le  problème le plus important. Le problème est de savoir si la question religieuse, parce qu'elle est religieuse, serait à épargner du rire, de la moquerie. Dans un pays laïc comme la France, la réponse est finalement simple : Sacraliser la question de conscience serait une atteinte au principe même de laïcité : celui-ci repose en effet sur 3 piliers : la liberté de conscience (croire comme ne pas croire); l'égalité des postures nées de cette liberté; la neutralité de l'Etat pour ne pas briser cette égalité et cette liberté. Dès lors, oui on peut se moquer de la chose religieuse. 

Mais à quoi ça sert me demande-t-on? Et bien, pour certains, à exister. A faire vivre la pensée; à militer; à réfléchir et faire réfléchir. Et, souvenez-vous des sorcières, finalement c'est un progrès...  Tout bien pesé, d'ailleurs,  il est peut-être moins dangereux pour la religion de se faire caricaturer, que de devoir faire face à une critique ou à une réfutation élaborée des textes et des principes théologiques. La puissance de la caricature, de la moquerie verbale ou dessinée, est certes importante, car grinçante, mais finalement limitée. Bien sûr, l'expression caricaturale est souvent tendancieuse. Mais que serait une liberté d'expression non tendancieuse? les opinions peuvent être défendues. C'est le principe même de la contradiction démocratique. 

Lorsque je dis une phrase (non verbale)  comme "Dieu, quelle drôle d'idée!", j'exprime mon opinion d'athée : je le fais de manière inacceptable pour les croyants: Dieu ne serait qu'une idée, non un fait, par conséquent j'affirme haut et fort qu'il n'existe pas (sauf à considérer que "l'idée crée l'essence même de la chose pensée" - et pourquoi pas?-,  mais là je suis au-delà de ce que je veux traiter). Je dis, qui plus est, que c'est vraiment bizarre de l'avoir inventé! Mais si l'on m'interdisait de le faire sous prétexte de ne pas choquer le croyant, quelle serait ma liberté de penser l'athéisme? Il faut donc se faire à l'idée que la moquerie est une forme d'expression, qui comme toute forme d'expression à des limites, bien définies d'ailleurs par la loi et par la jurisprudence. Que caricaturer tel ou tel prophète, ce n'est pas s'en prendre au croyant, mais c'est simplement faire vivre un droit. 

Alors, le confort des uns, les croyants, doit-il imposer la limite à tous? La Cour européenne des droits de l'homme semble pencher en ce sens et a conforté la notion de blasphème dans un arrêt récent "au nom de la paix religieuse". C'est un concept dangereux pour les libertés car on pourrait étendre cela à la paix sociale etc. Et comment définir la notion de "paix", religieuse ou autre. Le conflit des idées est nécessaire et doit juste être encadré par des règles qui assurent à la fois l'ordre social et la plus grande liberté possible. Qui crée le désordre social ? le caricaturiste ou l'assassin?  Vous connaissez ma réponse si vous avez suivi mon raisonnement.

Et le confort ainsi obtenu serait déjà la défaite de la laïcité, l'inégalité totale des postures de conscience. Nous avons donc comme responsabilité et devoir de nous  laisser ce pouvoir : nous moquer les uns et des autres ! Et cela commence par soi-même... 

En effet, relativiser sa posture, au regard de celle d'autres est parfois nécessaire. Se voir petit, pour éviter d'écraser les autres. Mais là on est dans une position morale. Et c'est évidemment une des clés. 

Quelle attitude morale responsable adopter ? Rappelons que Charlie Hebdo n'élude pas le problème, il y répond : il se sous-titre "journal irresponsable". Il assume donc une posture amorale. Lire Charlie, regarder une caricature de ce journal, c'est savoir ce que l'on fait. Le journal ne prend pas le lecteur en traître. Il s'est également sous-titré "journal bête et méchant". Beaucoup oublient de lire cela. Mais en se revendiquant "bête, méchant et irresponsable",  Charlie Hebdo montre bien le registre qu'il va employer. En ce sens d'ailleurs, en nous prévenant, il est très responsable, soit dit en passant. On n'en dira pas autant de toutes les publications de presse qui se montrent bien souvent sous un jour respectable, pour asséner des positions très clivantes et caricaturales, mais des caricatures qui ne disent pas leur nom... 

La caricature comme nature de dessin est déjà en soit une forme bien particulière d'expression : elle est par nature "exagération". Comme la blague est censée faire rire, la caricature ne prétend pas être vraie et assume sa fausseté. Le dessinateur n'est pas responsable de l'immaturité de ses lecteurs et de son public. Doit-il s'abstenir? 

On me répond que la bienveillance pourrait être une solution apaisante. Certes, mais qu'est-ce que la bienveillance? Une simple pratique, une attitude, très louable dans ses intentions, et certainement bénéfique à chacun dans les rapports sociaux immédiats. Cela reste une attitude morale et non une possibilité de droit. On ne peut mettre en loi "l'attitude bienveillante" sauf à restreindre drastiquement le champs de la liberté. Concrètement, nous en sommes là à l'école et à l'hôpital par exemple : comment faire face à une attitude dicté par un motif religieux alors même que ce sont des lieux de neutralité du personnel? Être bienveillant? Rappeler la loi? Et jusqu'à quel point? Remplir notre mission ou non? 

Sur le fond, la bienveillance peut aussi, selon vers qui elle se tourne, être une forme de complicité. C'est bien d'ailleurs sur ce point que la classe politique s'étripait alors même que le pauvre Samuel Paty n'était pas encore inhumé... 

Il n'y a aucune bienveillance à avoir avec le fondamentalisme religieux. J'ai dit avec les fondamentalistes, ce qui est différent d'avec "la communauté des croyants". Le fondamentalisme, quelle que soit la religion monothéiste du Livre considérée, est une recherche de pureté dans un texte originel fantasmé. Cette pureté est totalement absurde (Chocking!) quand on considère l'élaboration historique de ces textes. Il ne faut pas être spécialiste pour savoir que la Bible est une compilation phénoménale de textes sur des siècles, que le Nouveau Testament est lui aussi le résultat d'un long, très long, travail post mortem, et que le Coran itou. Que l'interprétation et l'exégèse sont des vraies sciences et que prétendre  que "le prophète a dit ça" ou "Jésus a dit ça", c'est idiot du point de vue textuel...Attitude dangereuse qui a des intentions politiques ou sociales et qu'il faut combattre. 

Ici je laisse mon ami, JLS, m'interpeller sur la bienveillance : "Tu mentionnes la bienveillance mise en avant dans notre période pour régler les tensions. Je crois que cette notion porte confusion. Elle ne règle rien, elle ne peut permettre qu'un chemin moins violent pour aller vers un règlement du conflit.

La bienveillance permet d'identifier et de tenter d'apaiser les réactions émotionnelles, limbiques, passionnelles qui émergent du fond de soi . Ensuite elle permet de comprendre que ces tempêtes envahissent "l'autre" également.

Alors seulement peut émerger la vraie question " et maintenant comment on fait avec ce bordel entre nous ?" Il faut alors mobiliser la compétence complémentaire à la bienveillance : la créativité.

Pour que cela puisse fonctionner il faut que les deux "belligérants" déterminent avant tout un cadre éthique qui va encadrer la décision. La non violence en est un. La violence un autre.

Parfois l'accord n'est pas possible : tempérance, patience, et dialogue seront les ferments d'une solution. Ou pas .....

La non bienveillance peut amener au même endroit mais en rajoutant la souffrance .

La bienveillance n'est ainsi pas une solution mais une méthode ."

Je souscris à ce qui est précisé ici!

Au point où nous en sommes, nous voyons bien que la question du droit (ce qui est autorisé ou non) est insuffisante (mais nécessaire) à régler nos problèmes. Il est question de morale (ce que je juge bon pour moi et la société) et donc d'éthique (principes sur lesquels je fonde ma morale). Quelle éthique pourrait nous mener à une morale de l'abstention de la liberté? Le respect de l'autre, mais au point de ne plus me respecter moi, de nier mes propres idées? Ce serait une contradiction fondamentale. Il n'y a pas d'accord sur une éthique fondamentale universelle. La diversité religieuse le montre, car, au fond, que sont les religions sinon des tentatives de trouver une éthique et une morale? Lorsque le droit se soumet à telle ou telle, il lui accorde une primauté insupportable aux autres. Voilà pourquoi seule une éthique laïque est propre à régler nos désaccords et à fonder du droit. Telle est ma conviction. 

Et pour rire un peu, relisons Manu Larcenet, Saint Manu.




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