mouette

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lamouetterouge@gmail.com

dimanche 15 octobre 2023

Prof

 J'suis prof'. J'enseigne l'histoire géo et l'EMC. En gros pour résumer  :pourquoi c'bordel (HG) et comment vivre avec (EMC)?

Je suis pas là pour donner des leçons de comportement et des recettes de bonheur. J'essaie modestement d'apporter un peu de lumière au sombre tableau de nos siècles de massacres, de haines, de rancœurs nationales, religieuses, sociales...  La lumière fait mal aux yeux les plus engourdis, aux regards les plus assombris... Trop pratique de fermer les yeux quand le tableau n'est pas joli.

Je déteste les explications faciles et les causalités d'évidence idéologiques. Ca aide d'avoir des schémas tout faits, mais l'histoire n'a de cesse de montrer que les choses sont complexes, entrelacées, mêlées dans d'inextricables labyrinthes. C'est ce qui est passionnant car nous sommes parties intégrantes du labyrinthe et non des pions au milieu d'un tout extérieur. Nous sommes le monde et non dans le monde. Etre modeste, car si je suis partie du monde, l'autre l'est de même. Tous les autres... 

Alors tolérance obligatoire. 

Les nations naissent et meurent, n'en déplaise aux nationalistes de tout poil. Les religions croissent et décroissent n'en déplaise aux croyants. Les systèmes se transforment, les langues aussi, n'en déplaise aux nostalgiques. Le pouvoir et les rapports de force se modifient au gré de variants innombrables...Le monde est transformiste et l'histoire raconte cela. 

Quoi de permanent? Pas grand chose. Les continents se meuvent et certains événements d'une triste actualité nous le rappellent : 2000 morts en Afghanistan la semaine dernière...

Le soleil s'éteint. Et personne ne le rallumera. La seule certitude c'est que dans ce grand bazar qu'est l'univers, les sociétés ont des possibilités de maîtrise, relatives, mais réelles : les rapports entre les hommes, les rapport entre les espèces (nous et les animaux, nous et les végétaux) se pensent au regard de la raison et au regard de la science. C'est le but de la politique et de la technologie que de gérer tout cela. 

C'est mon métier que de dire tout cela, de hiérarchiser certains éléments, d'en oublier d'autres aussi,  car nous sommes vulgarisateurs pour un public lambda, tous, et non spécialistes pour une assemblée d'experts... 

Ces choix, ces explications heurtent celui ou celle qui n'est pas prêt à l'entendre. Pour de multiples raisons : souffrance personnelle, croyance, conviction, ignorance, etc, etc.

Chercher à éclairer devrait être exaltant : c'est souvent pénible. L'impression d'une lutte sans fin, d'être à contre courant tout le temps, de ne pas vivre au même rythme. Et à cela, faire triompher le rythme de la sagesse,  les politiques de tous bords ne nous aident pas, à vouloir vivre au rythme de la lumière et du son. Le rythme du savoir n'est pas non plus celui des affaires et celui de la célébrité. Les gamins rêvent de Qatar et de Dubaï, les adultes rêvent de fixer le monde. Jouir et fermer les yeux. Mon boulot c'est l'inverse. 

Dans sa chanson l'odeur de l'essence, Orelsan dit très bien tout cela : "tout est binaire", "nostalgie d'une époque où d'autres étaient déjà nostalgiques d'une époque où d'autres étaient déjà nostalgiques d'une époque où d'autres étaient déjà nostalgiques  etc"

Moi je le dis avec des exercices, des documents et la raison. Trop difficile. Pour cela maintenant on assassine. Les profs deviennent les cibles de la frustration, les boucs émissaires faciles. L'Ecole cristallise le mécontentement des parents comme des enfants. 

"Evaluez" m'ordonne-t-on. Mais tous les jours, les premiers concernés refusent les résultats de l'évaluation. 

"Soyez laïc!" me dit-on. Mais, dans ce siècle, plus personne n'accepte les conséquences et les voies de la laïcité. 

"Enseignez l'honnêteté intellectuelle et le savoir" me demande-t-on. Mais tout le monde ment partout tout autour, et la crétinerie gagne le combat.

J'suis prof. Et fatigué de l'être. J'suis prof et dégoûté. Non je ne travaillerai pas plus à continuer à me former sur mon temps de congé. Non je ne travaillerai pas plus même pour une prime de 70 euros brut par heure. La société a l'Ecole qu'elle mérite. 

J'suis prof. Mon métier est d'enseigner l'histoire géo et l'EMC. Je continuerai à le faire mais avec le goût amer dans la bouche. Pas peur. Dégouté. Mourir pour ça... 




2 commentaires:

  1. Ce sont toujours ceux qui sont "sur le terrain" qui meurent. Quand l'ennemi paraît intouchable, désincarné, omniprésent et absent à la fois, on tire sur celui qu'on connaît ou bien sur le premier venu. Ça peut être le même.

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